
Fruit d’une enquête sociologique française, le portrait accablant d’une profession qui se paupérise tant matériellement qu’intellectuellement.
Il y a encore peu de temps, c’était un soupçon, une appréhension, une crainte individuelle à peine audible. Aujourd’hui, c’est une certitude, une angoisse, un cri collectif. Que les conditions de travail des journalistes se soient terriblement dégradées ne fait plus de doute plus personne. Leur pitoyable état est même devenu un objet d’étude et un modèle d’évolution sociale. Alain Accardo élève ainsi le monde des journalistes au rang d’exemple, celui d’une mutation du travail qui voit le retour à une forme primitive de salariat. Enquêtes à l’appui, il dresse un portrait terrible de la profession. Les journalistes, nouveaux héros d’une fable à la Dickens, on avait rêvé mieux.
Les patrons de médias qui liront ces pages trouveront certainement une raison de désamorcer le propos. On peut toujours accuser Alain Accardo de ne retenir que ce qui l’arrange. Le fait est que le sociologue, très remonté, ne cache pas la fonction de son ouvrage collectif. Face à un ultralibéralisme qui triomphe dans le journalisme plus encore qu’ailleurs, il cherche à ouvrir les yeux sur la réalité des médias, la précarité qu’il créent, le dévoiement de l’information qu’ils produisent, la prolétarisation générale qu’ils représentent. Ce faisant, l’entreprise prête le flanc au soupçon de partialité, de gauchisme aveugle, d’altermondialisme conservateur.
Il n’empêche, le tableau fait mouche. Derrière une vitrine clinquante et quelques stars, des milliers de galériens croupissent dans un quotidien fait de brimades, d’humiliations, de frustrations professionnelles, financières, personnelles. Même si les témoignages racontent avant tout la situation en France, n’importe quel journaliste lambda s’y reconnaîtra. En une vingtaine de témoignages fouillés et entrecoupés d’analyses, ce livre donne corps à ces nouveaux gueux, à leurs vies de travailleurs jetables, à leurs illusions perdues. À leur aveuglement aussi : certains n’ont pas conscience de leur situation. Et bizarrement, le journalisme fait toujours des envieux… Sans doute plus pour longtemps.
Pierre-Louis Chantre
Agone