La démocratie des crédules par Bronner Gérald

C’est un cri d’alarme que l’auteur, professeur de sociologie à l’Université Paris-Diderot, lance contre les pièges et les illusions d’optique du savoir véhiculé par Internet.

Attention, dit-il à tous les internautes, vous croyez que parce qu’une information vient en tête des réponses de Google, elle est forcément fiable; vous croyez que parce qu’un mot-clé génère dix occurrences allant dans le même sens, la vérité s’y trouve. Eh bien non ! Vous vous faites piéger par le dessous des cartes logarithmiques de Google : ce n’est pas parce que telle opinion, tel argument sont deux fois plus référencés, qu’ils entretiennent davantage de rapport avec la vérité.

Et puis, vous vous laissez duper par la tendance de l’esprit humain à suivre trop facilement la pente du bon sens et de l’intuition immédiate, ce que l’auteur appelle des « biais cognitifs ». Pour preuve, plusieurs exemples, de l’épidémie de suicides chez France Télécom à celui de l’interdiction de l’eau de Javel dans les hôpitaux, montrent comment ces « biais cognitifs » renforcent la crédulité au détriment de la vérité.

Selon l’auteur, le 3e défaut fondamental de la connaissance véhiculée par Internet, en particulier sur les questions de société, c’est qu’elle est principalement alimentée par des militants ou des croyants, qui mettent à l’élaborer et la diffuser, une énergie sans commune mesure avec celle de leurs contradicteurs neutres éventuels. Un exemple : aujourd’hui, 65 % des Américains croient bel et bien à l’implication plausible des services secrets de leur pays dans la destruction des twin towers le 11 septembre 2001. Pourquoi ? Il y a plus de 100 arguments en faveur de cette thèse sur le net. Qui s’emploiera à les démonter un à un ? Personne.

S’adressant plus particulièrement aux journalistes, l’auteur rappelle les effets de l’« infobésité ». En 5 ans, il se diffuse davantage d’informations sur le web que la totalité de tout ce qui a été publié depuis Gutenberg, soit depuis le 15e siècle. Alors même que notre société est fondée sur le progrès de la connaissance, faute de pouvoir la maîtriser, « elle devient une société de croyance par délégation, une démocratie de crédules ».

Les médias y contribuent, parce que la pression concurrentielle, qui ne cesse de se renforcer, aboutit à une diminution du « temps d’incubation » d’une nouvelle ou d’une rumeur avant diffusion, ainsi qu’à une diminution du temps de vérification. Trop de pression concurrentielle nuit à la vérité et favorise la crédulité. « Elle incite les journalistes à s’abandonner avec plus de facilité aux intuitions trompeuses, aux pentes les moins honorables de l’esprit humain ».

Les écoles de journalisme devraient donc sensibiliser leurs étudiants aux légendes urbaines et aux biais cognitifs. « Il faut être capable, même contre les évidences de son intuition, de générer, dans le laboratoire intime de la conscience, des hypothèses méthodiques alternatives ». Tel est l’injonction de Gérald Bronner. Si elle n’est pas suivie, « je crains de voir nos démocraties mises à genoux par leurs démons internes, et la démocratie des crédules faire de notre monde une banlieue délaissée par l’Histoire », nous dit l’auteur. A bon entendeur !

Eliane Ballif / MHJ – octobre 2014

Éditions PUF, 2014


Genre: Livres sur le journalisme
Thèmes: Web
11 mai 2015

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