
Il suffit de prendre une page de ce livre au hasard pour évaluer la place qu’avait prise Anna Politkovskaïa dans son pays. L’acuité de son travail, la clarté de son style et la grandeur de son courage s’y expriment à chaque ligne.
Défini d’entrée comme un portrait de Vladimir Poutine, ce recueil d’enquêtes s’attarde en réalité sur une poignée d’événements qui marquent la Russie d’aujourd’hui. Anna Politkovskaïa raconte le calvaire d’une mère de soldat disparu face à l’administration militaire russe, la montée en puissance d’un délinquant devenu un gros parrain de la mafia en Oural, l’impunité de généraux responsables d’exactions en Tchétchénie. Ce faisant, elle dresse le portrait d’une armée russe inhumaine avec ses propres soldats comme avec l’ennemi, de tribunaux soumis à l’idéologie politique, d’un pouvoir lié à la mafia à tous ses niveaux. Elle décrit enfin un président qui détruit toute opposition et donne un blanc-seing à des pratiques barbares.
Portés par un souffle qui s’apparente aux grands romans russes, tous ses récits sont effarants. En Occident, chacun voit aujourd’hui la tournure autoritaire que prend le Kremlin. Peu de monde en revanche prend la véritable mesure de cette évolution. Ce livre nous dit, sans ambiguïté aucune, que la Russie est revenue à des pratiques qui rappelle de vieux démons*. Incapable de quitter l’ancienne idéologie des services secrets dont il est issu, Poutine précipite son pays dans une dictature dont on ne voit pas, une fois le livre refermé, comment il pourra en sortir.
Pierre-Louis Chantre
*Voir la pétition de Reporters sans Frontières, qui demande l’ouverture d’une commission d’enquête internationale sur l’assassinat d’Anna Politkovskaïa.
Gallimard/Folio