
Publié en janvier 2013, l’ouvrage foisonnant de l’ancien directeur du Monde diplomatique dresse un inventaire, à cette date, de la lutte des grands médias face à Google ou Facebooks, de la « tchernobylisation » de la presse écrite mondiale et de la dégradation du statut des journalistes professionnels. L’auteur décrit aussi les essais de nouveaux modèles économiques et rédactionnels dans l’univers du clic et du lien.
Commençons par le statut de l’information : «devenue immatérielle, elle circule comme un fluide à la surface de la toile et à la vitesse de la lumière». Elle se vit comme un « work in progress »;d’abord brute puis corrigée, modifiée, enrichie, dans une sorte de « grandiose bourdonnement communicationnel». Les internautes qui y contribuent font partie « d’un organisme vivant, pluricellulaire et planétaire ils constituent un essaim de réseaux ».
L’envers de ce séduisant décor s’avère plus préoccupant, en tout cas pour l’éthique de l’information et pour les journalistes professionnels. Voici quelques exemples des nouveaux modèles rédactionnels pratiqués sur le web : articles sollicités à des rédacteurs sur un thème porteur, mais payés seulement au nombre de clics sur la pub générée par le sujet ; mise en concurrence mondiale de tous les pigistes potentiels – pro ou non – sur un thème donné, payés 5 ou 10 dollars la contribution; rédaction d’articles délocalisée dans des pays à bas salaires; installation de « fermes de contenus » autrement appelées « usines à information » évidemment low cost, où certains grands médias vont puiser pour abaisser leurs coûts, au détriment de la qualité et de la fiabilité.
S’agissant des média traditionnels ou des grands groupes, ceux qui « vendent des consommateurs à des annonceurs », Ignacio Ramonet se montre particulièrement sévère : désormais cotés en bourse, comment peuvent- ils encore remplir leur mission citoyenne, dès lors qu’une décision journalistique est connectée aux variations des actions de ces groupes ? Devenus trop puissants et sans contre pouvoir, ils fragilisent la démocratie.
Mais il n’y a pas que de l’inquiétant chez Ignacio Ramonet. Voici deux des modèles qui échappent aux logiques marchandes et à l’obsession des profits et de l’info à bas prix. Aux Etats-Unis notamment, le vrai mécénat existe en faveur d’une information exigeante et indépendante: de grandes fondations y consacrent des dizaines de millions de dollars. De même le journal allemand Die Zeit, qui a fait le choix de ne rien changer à ses exigences journalistiques et vu son tirage s’envoler en 2013. Eliane Ballif / MHJ – mai 2014
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