
« Histoire d’un site contaminé et de son assainissement à la frontière franco-suisse ». Le sous-titre dit bien la démarche de José Ribeaud : proposer un inventaire, un historique aussi documenté que possible, au sujet de cette histoire à la fois emblématique et exemplaire. Celle de l’accumulation puis de l’enlèvement, par la chimie bâloise, en l’espace d’un demi-siècle, des 114’000 tonnes de déchets toxiques de la fameuse décharge de Bonfol (765 habitants), dans le canton du Jura.
Commune de Bonfol, industrie chimique bâloise, experts scientifiques divers, Greenpeace, gouvernement jurassien et dans une moindre mesure Conseil fédéral : tels sont les acteurs permanents ou successifs de ce feuilleton sans mort d’homme, mais truffé d’émanations nauséabondes, de jus suspects, de menaces sur les nappes phréatiques, d’explosions intempestives, et de centaines de millions de francs pour réparer.
José Ribeaud, journaliste émérite bien connu en Suisse romande, fournit au lecteur toutes les pièces du dossier, du début des années 60 à l’horizon 2020. Cette longueur de temps permet d’apprécier la spectaculaire modification des mentalités. C’est ainsi avec quelque stupeur, vu d’aujourd’hui, qu’on apprend l’ignorance totale et le peu de curiosité des autorités de Bonfol, dans les années 60 à 76, au sujet du contenu des 400’000 fûts entreposés dans l’ancienne carrière d’argile.
En vertu d’un accord signé en 2000 entre la chimie bâloise et le gouvernement jurassien, la décharge devrait être complètement vidée et assainie vers 2016, cela aux frais de l’industrie. Budget prévu : 380 millions de francs. A la fin, quand tout sera réparé, l’histoire de la « maudite décharge» apparaîtra comme celle d’un assainissement exemplaire. De ce point de vue, l’ouvrage de José Ribeaud est plutôt réconfortant. Mais l’angoisse du lecteur renaît à l’évocation de dizaines de décharges toxiques « à retardement », en Suisse, et de milliers de lieux semblables, de par le monde, et dont l’auteur dresse la carte générale.
« Tous en vacances à Bonfol », un slogan potentiel pour 2018 ou 2020, lorsque le site aura été complètement réhabilité et que les millions de francs, déjà prévus, auront été consacrés à l’embellissement du village. Mais une querelle divise encore les habitants : faudra-t-il ou non signaler le site aux promeneurs et rappeler que « ci-gisait » la plus grande décharge toxique assainie, à ce jour, en Europe ?
Eliane Ballif – février 2015
Editions ALPHIL