
Une enquête qui profite du sulfureux faits divers pour explorer les mondes souterrains de la haute finance et des affaires françaises.
On trouve un nombre d’infos impressionnant dans ce livre : sur la personnalité d’Edouard Stern, sa meurtrière présumée, les avocats du procès, le juge en charge du dossier, le déroulement de l’enquête judiciaire. Mais aussi sur le très complexe imbroglio des affaires du banquier, les nombreux personnages de l’ombre qui gravitent dans son univers, les récents scandales français dont l’assassiné n’est jamais très loin…
Cette abondance de faits et de noms constitue l’une des grandes qualités de l’enquête. Le foisonnement de détails marque cependant aussi l’une de ses faiblesses, en particulier lorsque les auteurs tentent de décrire le fonctionnement de la haute finance internationale dont Edouard Stern était « un prince noir ». La multitude se transforme alors en amas nuisible à la lisibilité de l’affaire.
Le côté compilation de document déjà publiés pose aussi question: Valérie Duby et Alain Jourdan citent honnêtement leurs sources documentaires, mais l’alignement de coupures de presse et les citations d’ouvrages déjà publiés laissent un doute sur l’ampleur des infos récoltées de la main des auteurs. Enfin, les deux journalistes de La Tribune de Genève s’attardent sur le contexte qui rend plausible l’existence d’un « contrat » sur la tête du banquier. Edouard Stern avait manifestement beaucoup d’ennemis aux plus hauts niveaux de l’Etat français. Les auteurs invalident cependant l’hypothèse d’emblée tout en la nourrissant sur près de la moitié du livre.
Plus qu’une investigation qui permet de résoudre des énigmes ou d’aboutir à des révélations, ce livre se présente donc surtout comme une exploration des multiples mondes que l’affaire Stern ouvre à notre curiosité – voire à notre voyeurisme. Les coulisses de la finance mondiale, des commissions énormes et secrètes, des call-girls de luxe et des manœuvres d’Etat nous sont décrites avec délectation, parfois jusqu’aux menus culinaires des protagonistes. On sent aussi une fascination pour Edouard Stern, les sphères du pouvoir qu’il côtoyait, les brassages de milliards auxquels il se livrait, le caractère impérieux de ce contempteur du genre humain.
Reste que la lecture de cette somme très dense, d’abord menacée d’interdiction*, donne une excellente idée de la complexité à laquelle juges et avocats sont confrontés, et des non-dits qui mineront sans doute le procès jusqu’au bout.
Pierre-Louis Chantre
*voir le compte-rendu de RSF sur les conclusions juridiques.
Éditions Privé, 253 p.