
Documents et enquête à l’appui, un journaliste ivoirien analyse le traitement partial des faits divers qui impliquent des étrangers en Suisse romande.
Les grands médias romands, Le Matin et la TSR en tête, sont-ils xénophobes ? Plus précisément, les journalistes qui traitent les faits divers pratiquent-ils un racisme anti-Noirs ? Innocent Naki ne pose pas la question en ces termes précis, mais c’est bien à ce problème qu’il tente de répondre. Et malgré une implication personnelle qui biaise un peu son regard, il le fait avec des arguments qui obligent à prendre ses accusations au sérieux.
Documents à l’appui, sa chronique s’attarde sur le traitement journalistique de quelques faits divers récents, notamment ceux de Bex et de Monthey, qui ont vu des bagarres dégénérer en combats sanglants. L’auteur a effectué des recherches sur les circonstances des faits. Il a aussi demandé aux auteurs d’articles de se justifier. Il met aussi son propos en contexte avec des interviews d’experts, dont le rédacteur en chef adjoint du Courrier, le chef de la police de sûreté de Neuchâtel, ou le directeur de la Fareas, le centre de requérants d’asile vaudois.
Ce travail d’enquête amène Innocent Naki à pointer une série de déséquilibres : absence de témoignages des étrangers incriminés ; insuffisance des recherches sur le déroulement des faits ; minimisation de la souffrance des victimes étrangères ; mention partiale des nationalités ; mise à l’écart des étrangers, en particulier des Africains, dans les débats qui les concernent ; absence enfin d’enquête sur les faits divers qui mettent en cause des Suisses d’origine non-étrangère.
Si les médias romands se rendent coupables de partialité envers les étrangers, c’est donc principalement par omission. De là à y voir une xénophobie active de la part des rédactions, il n’y a qu’un pas, qu’Innocent Naki franchit parfois en intentant des procès d’intention où il n’y en a peut-être pas. Comme le souligne d’ailleurs l’un des interviewés, la vogue actuelle du fait divers tient sans doute plus à une logique de concurrence et de survie commerciale qu’à des convictions xénophobes ou anti-Noirs.
Reste que les accusations de ce livre sont graves et demandent à être traitées consciencieusement. Justifié ou non, leur point de vue exprime un profond désarroi face au fonctionnement médiatique.
Pierre-Louis Chantre
Éditions Swiss Métis