Que vaut vraiment une e-cigarette lorsqu\’il s\’agit de remplacer la traditionnelle blonde dans le quotidien d\’un gros fumeur? Je me suis donné 24 heures pour me faire une idée sur la question.
Introduction
Avec une vingtaine d\’années de fumée intensive dans les poumons, le tabac constitue peut-être l\’une des constantes les plus stables de mon existence. Durant ces deux décennies, les jours sans cigarette se comptent sur les doigts d\’une seule main. La « clope » est bien évidemment intimement liée à mon quotidien, avec des rendez-vous absolument immanquables, mais aussi, plus sournoisement, à mon image sociale. Comme beaucoup de fumeurs, je redoute les vides que l\’abandon de mon vice pourrait laisser béants. Que faire en buvant un café, en attendant le train ou pour ponctuer une saillie bien sentie? Rien que d\’y penser mon estomac se noue.
Pourtant, j\’ai décidé de passer les prochaines 24 heures sans tirer sur une seule de mes chères cigarettes. Une journée, c\’est à la fois insignifiant et vertigineux lorsque l\’on est un fumeur invétéré comme moi. Pour tenir le coup et ne pas devenir insupportable pour mon entourage, je place mes espoirs dans une de ces fameuses e-cigarettes. Reste à voir si cet étrange engin saura se montrer suffisamment efficace.
Lundi, 17:30
Comme de nombreux fumeurs, la chose que je fais le plus hormis allumer une cigarette, c\’est d\’évoquer l\’hypothétique et glorieux jour où j\’arrêterai le tabac. Je me suis donc déjà renseigné sur les e-cigarettes. A l\’époque, je m\’étais adressé à une enseigne spécialisée, Sweetch, qui possédait une boutique dans le centre commercial de La Combe, à Nyon. La vendeuse, apparemment très bien formée, m\’avait décrit avec force et détails les différents types d\’appareils. Depuis, la boutique a mis les clés sous la porte.
Mais aujourd\’hui, j\’achète ma cigarette électronique chez un buraliste nyonnais, revendeur officiel d\’une célèbre marque française. Son unique et très utile conseil: « attention au petit trou quand vous la remplissez, si du produit passe par là, c\’est l\’empoisonnement. » Ça commence bien.
Parmi les quelques modèles en vente, je jette mon dévolu, franchement au hasard, sur un appareil à 59 francs. Ce dernier me semble très basique et je le soupçonne d\’être relativement ancien. Mais il fera l\’affaire pour mon galop d\’essai.
Lundi, 18:10
Les quelques pages du mode d\’emploi qui accompagne ma nouvelle acquisition s\’ouvrent sur un triomphant « Merci et bravo. » Je me dis qu\’il est bien trop tôt pour crier victoire.
L\’utilisation de ma e-cigarette m\’apparaît plutôt simple. Cependant, deux choses me turlupinent: je réalise que mon envie de vapoter sera assujettie à la durée de vie d\’une batterie et que ce satané petit trou ne doit décidément pas être pris à la légère si on en croit le manuel.
Lundi, 20:35
Alors que je mets ma « cigarette » à charger, j\’ai la conviction que ce soir je vais préventivement fumer comme un pompier. La peur s\’immisce doucement.
Mardi, 7:30
Première grosse épreuve: le café du matin. Après une nuit passée sans nicotine, l\’appel de la première cigarette est invariablement souverain et irrésistible. Et son inséparable compère caféiné n\’arrange pas les choses. Premières bouffées sur ma e-cigarette. Je suis surpris par l\’abondante fumée et par le goût qui m\’évoque le narguilé. Amusant, mais quand même très éloigné d\’une « vraie » blonde.
Cette première session « d\’e-tabagisme » a fortement irrité ma gorge. Un comble.
Mardi, 8:05
En examinant le petit flacon d\’arôme que je me suis procuré en même temps que ma e-cigarette, je constate que sa date limite de consommation est fixée à novembre 2014… Je me demande si cela explique le goût peu agréable que j\’ai à la bouche depuis ce matin. Je décide de me procurer dès que possible un autre flacon.
Mardi, 8:21
Je m\’apprête à monter dans un train. Je ne connais pas la réglementation des CFF concernant le vapotage dans leurs rames. Je ne me souviens pas avoir déjà vu quelqu\’un faire usage de sa cigarette électronique dans un wagon. La pression sociale sans doute. À ce propos, j\’ai quand même l\’impression que l\’e-cigarette est moins bien perçue qu\’à son lancement.
Mardi, 8:45
Je commence à distinguer deux effets de manque distincts. Le premier n\’est pas excessivement fort, mais constamment présent. Le second est fulgurant et semble correspondre à des comportements réflexes; je sors du train, d\’un bâtiment, je m\’assieds à une terrasse, etc. J\’essaie de toutes mes forces de transférer ce besoin sur ma cigarette électronique avec un succès tout relatif…
Mardi, 9:30
Comme prévu je me suis procuré un nouveau flacon. Peu convaincu par le goût « imitation tabac » de mon premier essai, je m\’oriente vers la saveur menthe verte. En voulant changer l\’embout de ma cigarette, je fais une mauvaise manipulation, un liquide huileux se répand sur mes mains. J\’ai la désagréable sensation de jouer au petit chimiste.
La saveur mentholée est plutôt convaincante. Une bonne bouffée laisse un goût assez agréable dans la bouche. Et surtout on « ressent » la fumée inhalée, un point capital pour un fumeur. Je reprends espoir.
Mardi, 10:30
Je vapote tranquillement sur la terrasse du buffet de la gare à Nyon. Dans mon dos, deux clients fument leur vraie cigarette en buvant un café. Je les envie. Je ne saisis pas l\’ensemble de leur conversation, mais je crois comprendre qu\’ils commentent ma nouvelle habitude. J\’attrape au vol un « soit on arrête de fumer complètement, soit on continue. » Je me sens un peu idiot avec ma e-cigarette et surtout très seul.
Mardi, 11:26
Je discute brièvement avec un pharmacien nyonnais qui m\’explique que la cigarette électronique semble plutôt efficace quand il s\’agit de diminuer sa consommation de tabac. Par contre, les doses avec nicotine (non vendues en Suisse, mais commandables sur Internet) inquiètent le professionnel de la santé. « La nicotine est une molécule qui a une action concrète sur l\’organisme, il faudrait un vrai suivi des consommateurs afin de prévenir les surdosages ».
Mardi, 14:07
La sensation de manque est présente constamment. Mes deux décennies de dépendance ont créé un nombre considérable d\’habitudes qu\’il m\’est aujourd\’hui très difficile de combattre. Certes l\’e-cigarette me donne un coup de main, mais le mal est bien plus profond, vouloir le contrecarrer avec de la vapeur d\’eau aromatisée me semble bien dérisoire.
Mardi, 15:51
Je me sens un peu écœuré. Reste à savoir si cela est dû à mon manque de nicotine ou à mon nouveau joujou.
Mardi, 17:42
En cette fin d\’après-midi, si l\’envie d\’ouvrir un paquet de cigarettes est toujours très présente, force est de constater que ma vapoteuse est bel et bien capable d\’apaiser mes pulsions de fumeur. L\’expérience est plutôt concluante car pour rappel, je n\’ai absorbé absolument aucune dose de nicotine en environ 12 heures, un nouveau modeste record. Je commence à croire qu\’avec de la volonté et un substitut à la nicotine adapté à mes besoins, l\’e-cigarette peut être une alliée de choix dans mon sevrage.
Mardi, 22:12
Je vais me coucher tôt. Je suis impatient de dormir et d\’oublier mon vice. Je réalise que je suis excité et impatient à l\’idée de retrouver mes cigarettes chéries demain matin, un peu comme un gamin un soir de 24 décembre. Je n\’en suis pas fier.
Grégory Balmat