Municipal de village, un fardeau?

L’exécutif dans les petites communes ne fait plus rêver. Le désintérêt pour la fonction grandit à tel point que certaines d’entre elles n’ont plus assez de candidats. C’est le cas de Sévery, qui siège à quatre municipaux au lieu de cinq depuis juillet 2017. Pourtant, les solutions pour pérenniser les municipalités ne manquent pas.

Dans les villes, les visages des candidats à la municipalité s’affichent sur de grands panneaux. On serre la main des habitants le samedi à l’heure du marché, en offrant sourires et tracts. Ce qui n’est pas le cas dans les petites communes, où les candidats manquent à l’appel. « La disposition à fournir un travail de milice politique diminue », constate Avenir Suisse.

Particularité vaudoise Les élections au Conseil général dans les petits villages se tiennent le même jour, souvent en deux tours. Le premier par correspondance, le second quelques heures après les résultats, sur place. Ainsi, la participation chute au deuxième tour, et la tendance peut totalement s’inverser, faussant les élections. La député Claire Richard, ancienne syndique de Chigny, a déposé un postulat pour revoir le système politique vaudois. Il entrerait en vigueur lors de la prochaine législature en 2021, inclus dans une révision de la loi sur l’exercice des droits politiques.

Certaines communes se retrouvent dans des situations précaires. À Sévery, Nicolas Walker a été élu municipal en juin 2017 sans être candidat, mais n’aura jamais siégé. Il a préféré démissionner le lendemain de son élection. Le cas s’est reproduit quelques mois plus tard. Christian Lambiel, élu le 26 novembre, a aussi donné sa démission. De nouvelles élections complémentaires devront être organisées.

Les quatre municipaux soulignent la difficulté de siéger sans une cinquième personne pour le département épuration, eaux, forêts, et domaines. D‘autant plus que Sévery est engagé dans un processus de fusion. Le syndic, Fabrice Marendaz, se réjouit qu’un tel projet aboutisse, tout en craignant un non dans les urnes. « Ce serait incompréhensible que les habitants refusent alors qu’ils ne s’engagent pas pour la commune. »

[aesop_quote type= »block » background= »#ffffff » text= »#000000″ align= »center » size= »2″ quote= »Sur notre budget, après déduction des factures cantonales, il ne nous reste plus que 5 ou 10% de marge pour les décisions communales. » cite= »Reto Zehnder, syndic de Mauraz » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]

Ces municipaux ruraux n’ont plus envie de s’engager. « L’Etat laisse de moins en moins de marge de manœuvre aux villages », constate Paul-Henri Delacrétaz, syndic de Chamblon au début des années 90. Il est rejoint par Reto Zehnder, syndic de Mauraz, la plus petite commune vaudoise : « Sur le budget du village, après déduction des factures cantonales, il ne nous reste réellement que 5 ou 10% de marge pour les décisions communales. »

Depuis une dizaine d’années, un bras de fer oppose l’Etat et le village d’une cinquantaine d’habitants, où chaque maison a sa propre épuration. « Le Canton menace de passer le village en zone agricole pour nous faire accélérer le mouvement. Cela coûte 800’000 francs pour se raccorder à la STEP de l’Isle… ». Et le syndic de s’exaspérer du manque de souplesse des autorités cantonales. « Notre système fonctionne très bien, et nous n’avons pas de pollution industrielle. Et le Canton n’entre pas en matière pour participer au financement du raccordement à l’Isle. » Sauf en cas de fusion. L’Etat de Vaud souhaiterait d’ailleurs voir les deux communes fusionner. Mais selon le syndic, l’Isle n’acceptera la fusion que si le petit village débourse d’abord les 800’000 francs pour la STEP… Tout en ayant un plafond d’endettement à 600’000 francs, une somme trois fois supérieure aux recommandations du Canton.

Reto Zehnder, syndic de Mauraz, partage son dépit en vidéo :

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Pour l’heure Reto Zehnder, syndic depuis 17 ans, peut compter sur une municipalité solidaire, puisque ses deux collègues sont des amis. « D’ailleurs, tous les habitants sont amis à Mauraz ! » Mais quel sera le visage de la municipalité après la future retraite politique du syndic de 70 ans ? « J’espère que quelqu’un reprendra le flambeau. Il faut désormais tout connaître, et le canton ne nous facilite pas la tâche. Mais des jeunes devraient oser se lancer je pense ». 

Et les dossiers sont de plus en plus techniques. Depuis quelques années, un cas en particulier est venu alourdir la charge communale. « La LAT… », murmurent les municipalités. La Loi sur l’Aménagement du Territoire est un casse-tête. Les actuels municipaux craignent qu’elle ne freine encore les quelques candidats potentiels pour la prochaine législature, en 2021.

Moins d’intérêts et davantage d’attentes

Les exigences de temps et de compétence jouent aussi un rôle. Seuls les municipaux de la capitale vaudoise sont rémunérés à 100%. Même Yverdon, deuxième ville du canton, n’emploie que son syndic à 100%, les municipaux travaillant eux à 60%. Natacha Litzistorf, municipale lausannoise, rappelle également que les villes ont des services qualifiés. « Dans les petites communes, ils doivent tout savoir gérer eux-mêmes. Il faut le leur reconnaître, c’est plus difficile pour eux ». Et Paul-Henri Delacrétaz de se remémorer des situations cocasses : « Quand j’étais syndic, il m’est arrivé de devoir déneiger les allées qui menaient aux maisons de certains habitants de Chamblon. Ce n’était pas mon rôle, mais qui l’aurait fait ? Être syndic dans un village, c’est aussi prendre sur soi et montrer l’exemple. »

Et l’individualisme fait son chemin, note l’historien Dominique Dirlewanger. « Les gens travaillent de moins en moins dans leur commune de résidence. Il y a une rupture entre le lieu de travail et le lieu de vie, où il ne sont plus aussi impliqués que leurs aînés pouvaient l’être il y a trente ans. » Le politologue Oscar Mazzoleni appuie : « Il faut être réaliste, pourquoi s’impliquer dans une localité à laquelle on ne se sent pas appartenir ? »

[aesop_quote type= »block » background= »#ffffff » text= »#262626″ align= »center » size= »2″ quote= »Il faut être un peu masochiste pour être municipal(e) aujourd’hui (…) » cite= »Natacha Litzistorf, municipale lausannoise » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Paul-Henri Delacrétaz, sillonnant les chemins autour de Chamblon du temps de sa syndicature.

Et plus les législatures passent, moins l’écusson brille. L’ancien syndic du village de Chamblon Paul-Henri Delacrétaz estime s’être retiré au bon moment, en 1993. « Il y avait un respect de l’habit, à l’époque. Cela faisait partie des motivations qui poussent à s’investir dans la commune. » Le constat est également partagé par les villes. L’Yverdonnois Marc-André Burkhard, en poste depuis 2002, a vu se durcir le regard de la population. « La moindre décision n’est appliquée que des mois ou des années après. Les citoyens s’impatientent, et n’hésitent pas à vous le faire savoir… ». Sa collègue lausannoise Natacha Litzistorf le rejoint : « Il faut être un peu masochiste pour être municipal(e) aujourd’hui, mais cette proximité avec la population est tout de même très motivante. »

Rémunérés au lance-pierre

De la motivation, il en faut. Le municipal de milice ne touche pas un salaire, il est défrayé. Au mieux, un petit pourcentage peut lui être accordé. Combien gagne Blaise Chapuis, vice-syndic de Valeyres-sous-Ursins? « 35 francs de l’heure, pour environ 200 heures par an ». Sans compter les extras, et ce sont ces heures-là qui pèsent lourd. Heureusement, son patron lui permet d’être flexible pour les urgences à la municipalité. Mais selon lui, les employeurs comme le sien ne sont pas légion.

Et les municipaux sont pour beaucoup à leur compte, ou ont un(e) conjoint(e) qui gagne un salaire suffisant. C’est le cas de Jérôme de Benedictis, d’Echandens. Le touche-à-tout de 28 ans a lancé une sàrl sur la communication digitale avec un associé. Jean-Pierre Haenni, le syndic de Bourg-en-Lavaux, est agriculteur, et passe petit à petit la main à son fils. Son collègue, Jean Christophe Schwaab, était conseiller national jusqu’à fin 2017, et est maintenant père au foyer. L’Yverdonnois Marc-André Burkhard de 77 ans est retraité, mais dit avoir jonglé avec différents mandats au début de sa carrière de municipal en 2002.

Des solutions peu convaincantes

Alors que faut-il faire pour trouver des candidats? Les solutions, pourtant bonnes sur le papier, ne sont en pratique pas toujours applicables. Une professionnalisation de la fonction, avec une vraie rémunération? « Non, car la gestion d’une commune de moins de 10’000 habitants ne justifie pas des salaires à 100%. Les villages ne pourraient d’ailleurs pas se le permettre. Et surtout, l’argent ne doit pas être le moteur », assène Blaise Chapuis de Valeyres-sous-Ursins. Le municipal d’Echandens Jérôme de Benedictis, lui, est partagé. Il craint que sans rémunération à la hauteur de la tâche, les communes passent à côté de bons candidats.

Jérôme de Benedictis, municipal d’Echandens, s’explique en vidéo :

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Le temps reste un point sensible. Certaines directions rechignent à engager des employés qui occupent une fonction de municipal, et qui risquent de devoir jongler avec des exigences communales, parfois au milieu d’une journée de travail. Reto Zehnder de Mauraz, jadis consultant indépendant pour des ONG, le reconnaît : « J’étais régulièrement en Roumanie ou en Afghanistan. Heureusement que nous étions une petite commune, gérée entre copains par téléphone, sinon je n’aurais pas pu. » Pour Blaise Chapuis, « Un système d’APG de la Confédération pourrait être un début de piste, mais la crainte, c’est de devoir lui rendre des comptes, alors que le Canton prend déjà trop de place ».

Les fusions de communes semblent être LA solution. Oui, mais. « De tels projets échouent souvent, soit durant les négociations, soit dans les urnes. Personne ne veut perdre son identité communale, mais personne ne veut trop s’investir non plus », soupire l’ancien syndic de Chamblon, Paul-Henri Delacrétaz. Pour le municipal d’Echandens Jérôme de Benedictis, fusionner serait même un aveu de faiblesse pour les petites communes. À l’inverse, selon Jean Christophe Schwaab, municipal à Bourg-en-Lavaux, la fusion de son villages avec les communes voisines était naturelle, et logique. Elle a permis en 2011 de réunir Cully, Grandvaux, Epesses, Villette et Riex, son lieu de domicile.

Jean Christophe Schwaab, municipal à Bourg-en-Lavaux, raconte les liens entre les cinq ex-communes :

Et le municipal de rappeler que chaque localité a gardé son identité propre. « Les gens de Riex habitent toujours à Riex, idem pour ceux de Cully, les appellations villageoises sont restées ». La notion de terroir était aussi l’un des grands enjeux pour que le rassemblement des cinq communes fonctionne. « C’était un critère majeur pour faire passer la fusion. Nous avions eu la garantie du Canton que les villages viticoles allaient garder leurs appellations. Et c’est le cas, les vins d’Epesses et de Villette n’ont pas changé de nom. »

Bourg-en-Lavaux compte plusieurs vignobles, et deux appellations viticoles. IMAGE: Jean Christophe Schwaab

 

Une proposition intermédiaire est avancée par Natacha Litzistorf, qui estime qu’il y a d’autres formes de gouvernance à créer : « Mutualiser les forces! Pour les stations d’épurations, les communes ont dû apprendre à travailler ensemble, alors pourquoi pas pour le reste? » Elle est rejointe par le syndic de Mauraz. Ainsi, les fusions pourraient être évitées. « Nous sommes membres de l’AdCV, l’Associations de Communes Vaudoises. Parmi elles, certaines sont suffisamment riches pour nous aider. Nous aimerions pouvoir compter sur un principe de solidarité… », avance-t-il timidement.

Pour l’historien Dominique Dirlewanger, de vraies mesures sont nécessaires : « Il faut professionnaliser et valoriser ces postes, et offrir de bonnes possibilités de reconversion après emploi. »

Dominique Dirlewanger, historien, partage en vidéo ses idées pour revaloriser la fonction de municipal :

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Et même si le droit de vote et d’éligibilité est déjà donné aux détenteurs d’un permis B ou C, l’historien rappelle que toutes les communes n’offrent pas le droit d’éligibilité. « Sans parler des obstacles culturels qui freinent nombre d’étrangers intéressés à la chose publique… » Dominique Dirlewanger propose aussi le tirage au sort non renouvelable des candidats : « Des solutions diamétralement opposées mais qui ne manqueraient pas de modifier sensiblement la question. »

Margaux Habert textes, sons, vidéos, photo de couverture
Jean Christophe Schwaab photo Bourg-en-Lavaux
Paul-Henri Delacrétaz photo archives Chamblon

26 septembre 2018

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